Il a l’œil vif et gourmand, Patrizio Bertelli, le PDG du groupe Prada, quand il raconte le temps infini nécessaire pour réussir les meilleurs panettone de Milan. S’il est intarissable sur les arcanes de cette recette, c’est tout simplement parce que la pâtisserie historique Marchesi, fondée en 1824, est la dernière acquisition du groupe Prada. Et le mythique patron a bien l’intention, comme il le fait déjà dans la maroquinerie et le prêt-à-porter, de vendre ces douceurs comme des petits pains dans le monde entier.

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Le groupe, qui présentait ses résultats 2013 mercredi 2 avril à Milan, se targue d’afficher de meilleures performances que ses confrères européens. Ses ventes, qui ont augmenté de 9 % au cours du dernier exercice fiscal, clos fin janvier, à 3,58 milliards d’euros, frôlent désormais celles d’Hermès. Et même si l’euphorie est certes retombée – les ventes avaient bondi de 29 % en 2012 – le groupe milanais, coté à la Bourse de Hong Kong depuis 2010, peut se féliciter que son chiffre d’affaires ait bondi de 75 % en quatre ans.

TECHNIQUES UTILISÉES PAR ZARA OU H&M

Comment Prada a-t-il réussi à s’imposer si vite dans un secteur où il est si difficile de percer ? Son succès, fulgurant, s’explique bien sûr, et d’abord, par le design et la capacité de Miuccia Prada, la petite-fille du fondateur, à anticiper les tendances et à imposer magistralement son goût dans la mode, et à modifier les silhouettes. Elle est aidée d’une armée de 70 stylistes et quelque 950 techniciens chargés de développer tous les produits avant les défilés. Trois saisons avant tous ses confrères, Miuccia Prada impose par exemple le port des chaussettes. Un choix pour le moins hardi mais Chanel lui enquillera le pas.

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L’un des autres atouts de Prada réside dans son extrême rapidité à mettre en boutiques les nouvelles collections. Les magasins sont achalandés chaque jour. Le groupe n’a jamais plus de cinq mois de stock et reste, dans le luxe, celui qui pousse le plus loin la notion de « Flash collection ». S’inspirant directement des techniques utilisées par Zara ou H&M, Prada propose chaque mois des nouveautés dans ses magasins.

« Il faut nourrir le marché, mais pas seulement. L’idée est d’inculquer à nos clientes le fait qu’il se passe toujours quelque chose de nouveau dans nos boutiques », assure M. Bertelli. Puisque, pour exister, le luxe doit être mondial, toutes les boutiques doivent être livrées au même moment. « C’est ce qui demande le plus de travail », concède le PDG de Prada, qui accorde un grand soin à la logistique. Il a appris, en quinze ans, à construire et gérer un réseau de boutiques exclusives.

120 NOUVELLES BOUTIQUES PRADA D’ICI À 2016

Le PDG du groupe sait prendre des risques. Pays par pays. En Chine, par exemple, l’offre de Prada ne correspondait pas à ce que demandaient les consommatrices fortunées : des sacs avec de gros logos. En arrivant dans l’empire du Milieu, la marque italienne apparaissait décalée, un peu « too much », et ouvrait avec parcimonie ses points de vente.

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Aujourd’hui, les clientes redemandent ce qu’elles considèrent être l’icône même du chic italien. Alors que Gucci et Louis Vuitton souffrent en Chine, Prada continue d’y afficher une santé de fer, avec près de 15 % de hausse de son chiffre d’affaires. Le groupe milanais va continuer à y ouvrir de nouvelles boutiques, là où ses confrères ont décidé d’arrêter les frais.

L’objectif est d’ouvrir 120 nouvelles boutiques Prada d’ici à 2016. D’abord dans plusieurs pays scandinaves, puis en Angola, au Mozambique ainsi qu’au Mexique, en Arabie Saoudite, en Indonésie, en Australie, en Afrique du Sud, en Chine…Prada, qui comptait fin janvier 540 boutiques dans le monde (330 magasins Prada, 150 Miu Miu, 52 Church’s et le reste à l’enseigne Car Shoe), poursuit à marche forcée son expansion. Une petite fortune a été dépensée en 2013 pour un emplacement exceptionnel destiné à Prada sur Old Bond Street à Londres.

OUVERTURE DE 50 NOUVEAUX MAGASINS HOMME 

L’ouverture de 50 nouveaux magasins Prada consacrés à la gent masculine dans les trois ans à venir sera une priorité. Miu Miu n’est pas en reste, puisque 70 nouveaux emplacements sont prévus, dans les deux ans à venir. C’est bien le principal défi : planter des petits drapeaux partout où de riches clients auront les moyens de s’offrir des produits de luxe. « Dans cinq ans le groupe sera encore plus international », confirme M. Bertelli au Monde.

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Les investissements sont à la hauteur de cette ambition : 611 millions en 2013, 450 millions d’euros cette année et un peu moins les deux années suivantes. Des sommes destinées au réseau de magasins mais aussi au développement de l’outil industriel. Aujourd’hui, les douze usines (onze en Italie dont quatre ateliers de maroquinerie, trois manufactures de chaussures et autant pour le prêt-à-porter, auquel s’ajoute le site de Church’s en Grande-Bretagne) ne suffisent plus.

D’ici à fin 2015, trois nouveaux sites industriels et un de logistique verront le jour en Italie. Afin d’assurer une transmission du savoir-faire, une école de maroquinerie accueillera chaque année 60 étudiants à partir de 2015. L’usine de Church’s en Angleterre sera, elle, considérablement agrandie, puisque cette marque va se diversifier dans le prêt-à-porter et les accessoires. M. Bertelli ne peut pas s’empêcher de faire remarquer que Burberry’s a, lui, depuis longtemps, fermé ses usines outre-Manche…

« 80 % DES COLLECTIONS PRADA SONT MADE IN ITALY »

Dans un univers où la délocalisation est un gros mot, le patron de Prada joue franc jeu : il assure que « 80 % des collections Prada sont Made in Italy » et ne cache pas que la production des doudounes est sous-traitée en Chine et celle des baskets au Vietnam.

Puisque les usines ne font guère rêver, Prada a cherché à se forger une image de mécène éclairé. Son nom est désormais accolé à l’America’s Cup. Surtout, le groupe s’est adjoint, à la fin des années 1990, les services des plus grands noms de l’architecture – Rem Koolhaas en tête – pour signer ses plus belles boutiques, baptisées des « Epicentres » à Tokyo, New York ou Los Angeles. Le règne absolu d’une image radicale, conforme au style de la maison.

A Venise, la fondation d’art contemporain de Prada, somptueusement logée dans la Ca d’Oro, s’amuse même à plonger dans l’archéologie des expositions mythiques, puisqu’à l’été 2013 était reproduite à l’identique celle qu’avait présentée Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne en 1969. L’autre fondation Prada, à Milan, ouvrira ses portes en 2015.

L’avenir semble radieux. Le groupe prévoit 9 % de croissance des ventes en 2014 et 11 % en 2015 et 2016. Même si son bénéfice net est resté stable en 2013, à 628 millions d’euros, en raison d’un effet défavorable des taux de changes, plus de 230 millions d’euros de dividendes seront reversés aux actionnaires (Patrizio Bertelli et sa femme Miuccia Prada détiennent 70 % du groupe, le frère et la soeur de cette dernière 10 %, et le reste est coté).

« C’ÉTAIT QUAND MÊME CHER PAYÉ LE COÛT DE LA LEÇON »

L’avenir de Prada passera-t-il par des acquisitions ? « On nous propose tous les jours de racheter telle ou telle entreprise », assure M. Bertelli, sérieusement échaudé par ses échecs passés, avec les marques Jil Sander et Helmut Lang – qu’il a finalement dû revendre. « On a appris beaucoup, c’était quand même cher payé le coût de la leçon », a-t-il retenu.

En revanche, « Church, que beaucoup considéraient comme un mauvais investissement, s’est avéré une très bonne affaire », tempère-t-il. En tout cas, si acquisition il devait y avoir, il ne serait pas question qu’elle pèse sur le résultat courant du groupe, et « jamais nous n’achèterons quelque chose qu’on ne peut pas digérer », ajoute-t-il.

La question de la succession de Patrizio Bertelli, âgé de 68 ans, et de Miuccia Prada se posera un jour. Pour l’heure, leurs deux fils ne manifestent aucune envie de travailler avec leurs parents dans l’entreprise familiale. L’un préfère la philosophie, l’autre l’architecture.

Le Monde – 03/04/14