L’université Jean Monnet de Saint-Etienne crée, en partenariat avec Casino, un module sur le management bienveillant, socle de la nouvelle approche du DRH groupe, Yves Desjacques.

La bienveillance est à la mode. Les blogs et les livres se multiplient sur le sujet, et, au lendemain des attentats, les managers sont appelés à entourer avec « bon sens et bienveillance » les salariés. Faut-il en déduire que le management était jusqu’ici malveillant ? « Plus la crise s’aggrave, plus forte est la tendance à un management désincarné et mécaniste prétendument imposé par la nécessité de tenir la bride », constate Yves Desjacques, DRH de Casino. « Alors que la recherche de sens n’a jamais été forte compte tenu de l’effondrement des convictions politiques, morales ou religieuses, il ne faut pas que l’entreprise considère que les questions d’épanouissement et de bonheur au travail ne sont pas de son ressort, réduisant le lien social au contrat de travail », s’insurge le DRH qui sonne le tocsin dans la préface du « Bonheur dans ordonnance », signé par l’ex-urgentiste Philippe Rodet.

Objectif : encadrer sans stresser

Dans les entreprises, les conséquences de cette absence de management sont manifestes : la motivation s’effondre – 12 points perdus entre 2014 et 2015 – et le stress au travail touche 53 % des salariés et 68 % des managers, selon Cegos. « Ces chiffres soulignent l’urgence de redonner l’envie aux salariés. Sans motivation, l’efficacité collective est illusoire », insiste Yves Desjacques.

Chez Casino, convaincu de longue date des effets du bien-être sur la performance, selon le DRH, la quête d’un management juste ne serait pas neuve. Le choix de l’adjectif « bienveillant » est toutefois récent. Le copyright revient justement à Philippe Rodet. Auteur de plusieurs ouvrages à succès sur le stress, c’est par un simple mail qu’il accroche l’attention d’Yves Desjacques. Théoricien de l’interaction entre stress et motivation, le médecin lui démontre le processus chimique : « Lorsque le stress augmente, le système sympathique se dérègle, avec pour conséquence la diminution du taux d’acétylcholine impliqué dans la régulation de la motivation.»

Séduits par leurs convictions respectives, les deux hommes peaufinent une série de règles, caractéristiques d’un management cordial et indulgent. Sur le fond, rien de révolutionnaire : encourager les efforts du salarié, féliciter et partager ses réussites, écouter et étudier ses suggestions, donner le sens et surtout fixer des objectifs « atteignables ». En somme, encadrer sans stresser. « Il y a vingt ans, il pouvait être tentant de chercher de la performance par le stress, car les facteurs de protection de la population étaient élevés. Aujourd’hui, ces barrières s’étant effondrées, seule la diminution du niveau de stress permettra d’atteindre du résultat », démontre Philippe Rodet.

Le médecin et le DRH se sont ainsi employés à déconstruire les stéréotypes auprès des 1.800 cadres de Casino formés. En premier lieu, la vieille théorie de management par le stress fondée sur une étude réalisée en 1908 sur des… rats. « De récents travaux menés par le professeur Eric Gosselin démontrent que la courbe de Gauss reflétant un niveau de performance en corrélation avec le haut niveau de stress n’est significative que dans 10 % des cas ; dans 75 % des cas la performance diminue avec le stress. » Pratique, le médecin suggère une méthode de mesure : « Sur une échelle de 1 à 10, le collaborateur situe son niveau de stress puis son niveau de plaisir au travail. Si le rapport plaisir sur stress est inférieur à 1, il y a urgence à agir et a réévaluer la charge de travail ». Et pour identifier à coup sûr les stressés, l’expert a déployé un réseau de 800 « bienveilleurs », formés à reconnaître les signes de mal-être (fatigue, irritabilité, tendance à l’isolement etc.).

Le stress du timing

Autre réflexe néfaste, ancré chez les managers, la gestion de projet par le timing. « La diminution du temps alloué à l’exécution d’une mission augmente la tension et non la productivité et l’efficacité », alerte Philippe Rodet. S’appuyant sur le concept du « flow », élaboré par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, exploité notamment par l’industrie des jeux électroniques, il rappelle « que le niveau de difficulté doit s’adapter selon le joueur afin de porter sa progression et son plaisir au jeu ». Et non l’inverse.

Cette année, une quinzaine de collaborateurs de Casino approfondiront les ficelles du « management bienveillant », désormais partie intégrante du master 2 en management du commerce et de la distribution de l’IAE de l’Université Jean-Monnet Saint-Etienne. Belle reconnaissance pour Casino qui se prend à rêver d’une notation extra-financière : « De la même façon que Vigeo évalue la performance sociale et environnementale, les agences pourraient intégrer des données objectives permettant d’évaluer la qualité managériale dans leurs critères de notation. Bon nombre figurent d’ailleurs dans le bilan social (absentéisme, égalité, formation, promotion, etc.) », imagine Yves Desjacques. Une piste qui pourrait contraindre nombre de dirigeants à considérer le stress comme un item et non un artifice.

Les Echos Business – 30/11/15